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L'excellence est-elle excellente pour la démocratie ?


L'appel à l'excellence est à la mode depuis quelque temps en France, dans les discours politiques.

Il est vrai que ceux qui sortent de l'ENA peuvent se targuer d'être estampillés 'excellents'. Ils peuvent se montrer en exemple, et laisser entendre que les trop fréquents soucis que peuvent rencontrer leurs administrés ne sont imputables qu'à des défauts individuels d'excellence. Pour faire bonne mesure, pourquoi ces demi-dieux ne vanteraient-ils pas aussi le mérite ? On les comprend.

Ceux qui n'ont pas atteint les plus hauts sommets sont donc priés de ne pas chercher à « refaire le monde » . Cette délicate mission est soumise à l'excellence de ceux qui ne voudraient pour rien au monde scier la plus haute branche sur laquelle ils sont assis. C'est dans l'ordre des choses.

Pourtant, force est de remarquer qu'aucune population humaine n'est jamais constituée d'une majorité d' excellents élèves !
Or, quand on veut gouverner un peuple, il faut bien faire avec ce que l'on a.
Les deux citations suivantes illustreront le sens de cette remarque-là :

C'est donc en ce sens que, se retrancher derrière la nécessité d'une course à l'excellence et au mérite, risquerait bien de ressembler à un lapsus. Cette apologie de l'excellence pourrait faire soupçonner le contraire de la respectabilité dont elle entend s'envelopper – et dévoiler, au contraire, une indigence des prétendants au trône, en matière de stratégie politique réaliste (ou encore, en matière de charisme naturel ! ).
Les esprits mal tournés vont considérer :
- qu'en stigmatisant la médiocrité de ses troupes, le leader se défaussera de sa responsabilité et des faiblesses de son propre gouvernement.
- et que celui qui ne vise à gouverner qu'à la tête d'un peuple parfait, court plus après le confort des honneurs (volonté de surclasser des sous-semblables) qu'après le mérite d'un service dévoué à des semblables (reconnus comme tels dans tous les sens du terme)

Bien sûr, on peut jouer d'une imprécision rhétorique qui laisse dans le flou les limites du partage entre l'excellence et le rebut.
Mais cette imprécision est une arme à double tranchant. Côté pile, on s'attire l'approbation de tous les prétentieux, à quelque poste qu'ils soient. Côté face, on s'attire la défiance de tous les modestes, et la rancœur de tous ceux qui déplorent un manque de reconnaissance.

En gros, alors qu'on se veut le champion d'une saine stimulation par l'émulation et le dépassement de soi, on a toutes les chances d'exacerber en fait le sentiment d'exclusion et de découragement de l'immense majorité snobée.
( Par exemple : un seul de nos candidats s'est-il intéressé, jusqu'à aujourd'hui à cette proportion non négligeable des chômeurs dipômés et expérimentés, qui déclassés arbitrairement, ne correspondent pas vraiment à la théorie ambiante d'un chômage dû au manque d'instruction, de capacité intellectuelles, ... ou de courage ! ... )


Mais là n'est pas encore le défaut le plus grave de ces recentrages politiques sur l'appel à l'excellence et à la méritocratie.
Le problème majeur, dans l'actuelle campagne présidentielle française, est tout simplement celui du hors-sujet !

N'oublions pas que les Français sont censés choisir un Représentant du peuple, garant d'une République démocratique. Or la démocratie n'est pas l'aristocratie !

Rappel pour les mécréants ;)) = définition trouvée dans Wikipédia :
«  Le terme aristocratie (en grec : gouvernement des meilleurs) désigne :

une forme de gouvernement dans laquelle le pouvoir est officiellement détenu par une élite (parfois par une caste, une classe, une famille, voire quelques individus) ;
les membres de cette classe que ce soit les nobles ou tout autre forme d'élite, telle la nomenklatura.

l'aristocratie n'est cependant pas à confondre avec la noblesse. L'aristocratie est, en principes, fondée sur le mérite, la noblesse sur la naissance »

Attention à la réaction de l'immense majorité de celles et ceux, ni aigris, ni jaloux, ni prétentieux, qui ne cherchent qu'à participer à cette démocratie avec le plus de lucidité possible. Lucidité sur eux-mêmes, bien entendu. Mais aussi, pourquoi pas, lucidité sur tout ce qui concerne la chose publique, qui les concerne, et qu'ils ont le devoir (moral) d'essayer de comprendre.

Lorsqu'on croit à la pertinence du postulat démocratique, on fait confiance à ses concitoyens pour comprendre, évaluer et traduire au niveau qui nous est intelligible, quel qu'il soit, les argumentations détaillées que nous attendons de nos élites.
On ne craint pas alors d'être mystifié par des démonstrations trop pointues : on se défiera plutôt de leur inexistence. Peut-être que « toute traduction est une trahison », mais La Bruyère nous a par contre assuré que «  Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement ... »
Alors, orateurs qui voulez nous séduire et rester crédibles, n'hésitez pas à nous éblouir par des argumentations détaillées, chiffrées, savantes ...

Nous finirons bien par nous en faire une opinion juste. Et nous saurons tôt ou tard ce qu'il en est de votre excellence ramenée dans notre monde réel.
( Peut-être certaines spéculations sont-elles peu compatibles avec l'exigence de transparence que sous-tend cette attente du peuple. Mais là encore, les spéculations récemment expérimentées par nos responsables sont-elles vraiment des réussites ?
N'avons-nous pas, même à petit niveau, une mémoire, et des éléments objectifs et très concrets d'observation ? - Par exemple : à combien s'élève la dette de la France ? )

Les Chinois ont expérimenté la « Révolution Culturelle » : voilà peut-être le genre de réaction que risquerait de susciter une crispation trop marquée autour de l'idée d'excellence ...


Un modèle bien connu (ou qui devrait l'être) illustre plutôt bien, il me semble, cette conviction qu'il n'est pas de savoir, aussi savant soit-il, qui ne soit accessible à la conscience du peuple. Il s'agit du logiciel libre, dit aussi « logiciel open source ».

Peu de spécialistes sont capables de se pencher sérieusement sur les détails complexes de ces logiciels. Pourtant, c'est bien parce que ces détails sont accessibles à n'importe qui, que, dans les faits, les résultats universellement reconnus sont au rendez-vous !

Alors, chiche ? Les candidats à la présidentielle vont-ils accepter, sur ce modèle du logiciel libre, de mettre sur la table une argumentation détaillée de leurs propositions, chiffrages et spéculations ?

D'accord, cela pourrait bouleverser les habitudes nationales; cela risquerait aussi de contrarier la paresse intellectuelle de positions retranchées d'appartenances politiques plus claniques que réfléchies ... mais Beaumarchais ne disait-il pas :

«  La difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre ».
?

Linux est le fruit d'un travail d'équipe. Richard Stallman ou Linus Torvalds n'ont pas commis l'erreur de se présenter comme des leaders ou comme des visionnaires, et beaucoup, comme moi, sont convaincus de l'analyse de Eric Raymond, qui attribue à l'immense majorité des utilisateurs et testeurs quasi anonymes, le mérite et la clé de la réussite des projets collectifs qu'ils ont initiés.

Me ferais-je donc comprendre si je cite enfin cette remarque de Victor Hugo :

« La vie, le malheur, l'isolement, l'abandon, la pauvreté sont des champs de bataille qui ont leurs héros . »


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 L'excellence est-elle excellente pour la démocratie ?

Le sujet à débattre est en fait une suggestion proposée à tous les candidats à la présidence de la République  ...
 les incitant à faire eux-même preuve d'excellence.
 Aurez-vous le temps, après cette présentation, d'en débattre :       sur le site okidor/reflects