sabordages
!
«
"mille sabords !" s'exclamaient
les héros d'autrefois; [...]
les influents d'aujourd'hui semblent
ne chercher qu'à tirer profit de mille sabordages opérés
sur une flottille déboussolée ... »
« Les ci-devants, qui
commentent doctement l'actualité du haut de leurs miradors, se
laissent aller aujourd'hui à assimiler perfidement à du
conservatisme toute idée de Résistance.
Ce
sont pourtant les mêmes qui restent à épiloguer
sur chaque épisode de la "guerre économique"
moderne, et qui ont salué, en temps opportun, le courage
des Résistants de la dernière guerre mondiale. Il faut
croire qu'ils ont l'assurance d'être bien abrités de
l'oppression latente ressentie par leurs concitoyens.(Seuls les beaux parleurs verraient les pièges à éviter, le reste du monde se croirait dans une immense cour de récréation ?)
A en croire la façon dont nos mentors traduisent l'actualité, les notions
de "guerre économique", "intelligence
industrielle", "dette publique" seraient réservées
aux capitaines d'industrie; dans ces mots savants qu'on lui
exhibe, le salarié moyen ne devrait deviner qu'une pédagogie
destinée à lui faire subodorer à quel point il a
besoin d'être managé par une élite avertie ...
Un candidat qui doute de son Employeur potentiel serait un frileux, un
angoissé, ou un retors palmé. Le marché de la
main d'œuvre pré-formatée devrait être
«assaini » de ce genre de parasites qui plombent le
budget de l'Unedic . Le Darwinisme, ce serait de l'histoire ancienne:
l'élite politicienne, financière, judiciaire,
militaire, scientifique, aurait heureusement su prendre le
relais de la "Sélection
Naturelle"; place à l'eugénisme(*)
éclairé des experts !
[...]
Au nom de "la loi du
Marché" des fripons ont déjà
"délocalisé" leur entreprise dans un lointain
univers non démocratique; ils proposaient à leurs
employés français, ou bien la Porte, ou bien la
"flexibilité" et la paie des nouveaux collègues
qu'ils étaient censés rejoindre, en s'exilant à
l'autre bout du monde !
Naturellement, certains «tâcherons »
s'alarment de ce genre de dérive. Mais, pour les Bien-Pensants, cette réaction ne peut
être due qu'à la peur du changement, à de la
sinistrose, de l'immobilisme, une angoisse d'assistés
incapables de s'adapter aux exigences de la nouvelle géo-stratégie
mondiale ...
Ces Bien-Pensants ne savent imaginer
qu'une jeunesse à courte vue : on ne prête que ce que
l'on a !
Tout se passe comme s'ils n'avaient la visibilité
que de leur propre période d'existence : une vision étendue
et lointaine derrière, vers leur passé, et une vision
courte devant, vers un futur qui ne les concernera bientôt
plus.
Sous prétexte d'encourager l'audace
et les exploits de la "fulgurance", les sages esprits
voudraient plier les tièdes à tous les arrivismes.
"Vae victis", que le meilleur gagne ! Il serait ainsi
souhaitable d'inciter chaque individu à créer sa propre
entreprise, (quitte à devoir se battre, seul, dans un
environnement de très haute technologie, et contre des
multinationales) dans l'espoir de voir une poignée de héros
nationaux relever les plus grands défis
économico-socio-industriels de la planète. Il suffirait
pour cela d'ériger en Dieu incontestable tout compétiteur
auto-déclaré, pour peu qu'il ait obtenu les fonds
indispensables ...et tant qu'il n'aura pas basculé dans
la faillite.
Et il faut en plus faire vite, pour que les
dividendes aient encore le temps de dérider les vieux jours
des actionnaires âgés qui tiennent les cordons de la
bourse...
Ah! elle n'est pas encore tournée la page du
mythe, du héros, de la ruse d'Ulysse, du Talon d'Achille,
qui permettrait aux plus malins des individualistes de rivaliser avec
les populations les plus nombreuses, avec les moins pressées,
les plus posées !
Alors peu importent les
incohérences ou les inconséquences.
Les Français de base
ont vidé leur bas de laine lors du passage à l'Euro ?
Ils ont épuisé leurs crédits ? Les moins
débrouillards sont de plus en plus nombreux à être
surendettés, à être radiés de l'ASS et du
RMI ? Qu'à cela ne tienne, pour relancer la machine
économique, on va permettre à ceux qui ont encore
la chance d'être parents d'hypothéquer les revenus de
leurs enfants ! ça c'est sûr, si nos investisseurs
providentiels ont davantage de profits en vue, ils feront à
leur tour l'effort de trouver enfin l'astuce pour rembourser une
dette publique monumentale, pour combler "le trou de la sécu"
et pour assurer l'avenir des retraites ...
Mais que diantre, il
faut, d'abord, que ces fainéants de petits français
comprennent que leur temps de travail, leur flexibilité, leur
dévouement et leur malléabilité sont les
seuls paramètres d'ajustement envisageables pour éviter
une trop rapide banqueroute du Pays. Si les tâcherons
s'endorment sur leurs "acquis sociaux", leurs
Patrons n'auront pas le temps de vendre leurs entreprises à
temps : plus personne n'aura la moindre chance de pouvoir
sacrifier sa vie à gagner l'insigne honneur de sauver les
meubles des plus futés de sa hiérarchie !
Les petits boulots ont disparu et, l'accès
au logement individuel devient impossible ! La
raréfaction, la flexibilité et la précarité
des emplois empêchent les jeunes d'être crédibles
face au voisin qui veut louer un appartement le plus cher possible
et sans risque ....
Les statistiques montrent que ces Jeunes
sont de plus en plus nombreux à vivre chez leurs parents : et
ce, jusqu'à l'âge de 30 ans, et même après.
Qu'à
cela ne tienne, il faut travailler l'opinion publique pour
officialiser l'idée que le premier problème des Jeunes
serait leur ignorance du "monde du travail". Il suffirait
de payer des "référents" pour leur apprendre
le "savoir être" ... au CPE !
( Car il est bien
entendu qu'un jeune, vivant chez ses parents, n'a aucun écho
du turn-over, de la flexibilité, des tensions dues au
chantage à l'emploi, des licenciements, des procès
interminables aux prud'hommes, ....
rencontrés par son papa, sa maman, son grand frère,
son oncle, sa belle-sœur, ou la
copine de son cousin !! )
Quelle caste
d'extra-terrestres peut encore s'auto-convaincre d'une telle cécité
de la jeunesse ... et des familles françaises ?
On ne soupçonnera
quiconque de croire sérieusement que les Français, même
jeunes, n'attendent que les paroles du journaliste ou du politicien
pour évaluer leurs chances d'avoir une place dans la
société dite civilisée.
Mais alors,
qu'est-ce qui peut bien rendre viable toute cette rhétorique
politicienne ou journalistique sur le
conservatisme des tâcherons, la fainéantise des
chômeurs, ou la cécité professionnelle des jeunes
?
Une seule réponse se dessine : c'est la manipulation, les
calculs psychologiques, les plans sur la comète visant à
une haute stratégie du "diviser pour régner"
!
Voici quelques éléments pour étayer cette
thèse :
les chiens ne font pas de chats : si les parents (68ards)
étaient, sommes toutes, égoïstes et arrivistes,
pourquoi leurs enfants ne le seraient-ils pas eux aussi ?
A y
regarder de plus près, le rejet du CPE par les jeunes n'est
pas (seulement) un acte de philanthropie !
Chaque jeune sait bien qu'il ne tiendrait qu'à lui
d'éviter de signer un contrat CPE ! Non, s'il va manifester,
c'est bien parce qu'il connaît
suffisamment le monde du travail pour savoir qu'il ne faudrait pas
non plus que des 'traîtres', ne s'avisent d'accepter les
rares contrats 'consommés' par ce CPE !
Si, devant le monde du travail, les enfants étaient
naïfs au point où veulent le voir certains
politiciens, il faudrait dans ce cas s'attendre à ce que ce
soient les parents, avec qui ils vivent, qui les incitent à
aller manifester !
Si la réaction contre le CPE est
imputable à la peur décriée par tant de
commentateurs, de quelle peur s'agit-il ?
La naïveté,
chez le Jeune, serait plus propice à une confiance paresseuse
qu'à la peur : ce seraient donc plutôt les parents ou
les aînés qui ont peur.
Par
exemple, ceux qui n'ont pas osé se manifester contre le CNE,
par crainte de perdre ou de ne pas obtenir un emploi, pourraient
bien transmettre leur peur aux plus jeunes qui ont moins à
perdre dans l'immédiat ...
Maintenant que tout le
monde se sent directement concerné: les jeunes, à leur
tour, ont intérêt à pousser à la
manifestation ceux qui sont menacés du CNE ...
( Se
sont-ils préoccupés, avant, du CNE ? )
Certaines bonnes âmes fustigent aujourd'hui l'attitude 'peureuse' qu'ont les précaires devant l'abolition des protections sociales auxquelles ils croyaient encore. Ces esprits supérieurs n'auraient-ils pas eux-mêmes peur de cette conscience, pas si naïve, du vrai danger éventé par les 'faibles' ? Cette conscience-là pourrait obliger les actionnaires, à leur tour, à remettre en question leurs calculs manipulateurs
S'étant bien gardés de toute consultation officielle de la population, il semblerait qu'on ait déjà voulu jouer d'un à priori des banlieues, dit favorable au CPE, contre un à priori défavorable d'étudiants qui n'auraient pas su comprendre qu'ils ne pouvaient pas, eux, être concernés par ce nouveau contrat ...
Il se trouve qu'après une période pas si ancienne d'événements inquiétants survenus dans les quartiers défavorisés, de nouveaux dérapages sont favorisés par des mesures manifestement impopulaires ...
tout se passe comme si chacun jouait sur la peur : plus exactement sur la peur de la peur de l'autre.
La peur ne serait-elle pas en fait davantage dans le camp de
ceux qui prétendent s'y montrer immunisés ?
Autrefois,
le courage et la sagesse étaient demandés à
tous. A l'opposé du courage traditionnel, le courage
moderne semble être devenu celui de la duplicité. Le
courageux est celui qui sait "dégraisser" une
entreprise. Celui qui sait faire travailler les autres.
L'art
consommé de la stratégie
moderne consistera bientôt à savoir faire assumer
les risques par les autres.
Il pourrait même advenir que le
fin du fin devienne d'avoir le courage de saborder les unités
de sa propre flottille pour mieux en faire
émerger les richesses cachées.
[...]
Pour essayer, par
exemple d'évaluer les différences de reconnaissance
accordées au courage de l'homme d'affaire et au courage du
demandeur d'emploi, posons-nous les questions suivante:
- Quel
pourcentage maximum de ses ressources une banque est-elle prête
à engager sur des Affaires? Et avec quelle risque de perte ?
Le précieux temps de travail de l'Homme d"Affaires
travaillant pour cette banque représente quel pourcentage de
ses revenus ?
- Un précaire qui se lie dans un contrat de
travail, engage couramment la totalité de ses ressources
personnelles avant de toucher sa paie : à combien
évalue-t-on le risque que son temps de 'travail' ne vire en
fait qu'à un gaspillage de ses capacités à long
terme en matière d'acquisition de connaissances, de
savoir-faire, de créativité ? Les revenus de
ce précaire ont-ils une autre cause que le temps
passé à son travail ?
[...]
Les 68ards, et
ceux qui ont fini par les suivre, veulent se persuader qu'on ne doit
la prospérité des "30 glorieuses" qu'à
leur propre confiance dans l'avenir, à leur génie, leur
audace ou leur opportunisme et au seul travail de leur génération.
Ils s'étonneraient presque de voir leurs propres enfants
demander des comptes quand il s'agit de répartir, sur la
courbe démographique, la charge des retraites, de la dette
publique, de la pollution, des contentieux ethniques ...
Et
au moment ou il devient vital, (et pas seulement pour l'Espèce
Humaine,) de faire preuve d'une conscience plus mature des équilibres
planétaires, au moment ou certains comprennent qu'il est
indispensable de Résister à l'injonction factice au
"toujours plus" ... ceux-là se font rabrouer comme
étant des 'conservateurs' attachés mièvrement
à des privilèges immérités !
Les
Grands 'Manitou' de la communication voudraient les rappeler à
l'ordre. Ou tout au moins à un ordre qu'ils voudraient
rattraper, en mettant en avant une
sélection de chefs pleins de tempérament,
auxquels devrait se soumettre une population d'électeurs
compréhensifs et plein d'abnégation, entraînés
à reproduire sans trop broncher tout ce qu'on leur demande:
toujours plus vite, avec de moins en moins d'exigences, et
toujours plus d'efficacité.
Mais ces chefs, ces
modèles, artificiellement protégés par un
consensus de docilité trop facilement obtenu, finiront à
tous les coups par être désadaptés au monde
ouvert qui les entoure. La confrontation sans concession au
terrain et aux contraintes réelles fera émerger une
intelligence collective fort enrichissante, qui bénéficiera
à leurs troupes beaucoup plus rapidement qu'à eux
mêmes. C'est ainsi que les élites seront déboussolées
quand le bon sens sautera aux yeux des plus démunis. Et au
moment où la hiérarchie, dépassée par ses
petits soldats, voudra instaurer un sabordage généralisé
pour sauver sa peau, les premiers seront les derniers ...
»
CASSANDRE
(le 25 mars 2006)
(*) Eugénisme
:
« Théorie qui préconise l'amélioration
de l'espèce humaine par une action sur les gènes et par
le contrôle de la reproduction. L'eugénisme se heurte à
des obstacles d'ordre moral, religieux et social. »
Note
: certains machiavéliques pourraient vouloir
assainir ou apurer la population en éliminant des
individus qu'ils considèrent comme inadaptés : les
faibles, les fainéants, les crétins, les râleurs
... ou autres. L'idée pourrait être de les laisser tout
simplement sans travail, sans ressources, sans soins ... jusqu'à
ce qu'ils soient 'naturellement' éliminés par un
phénomène bien connu de rejet social, ou par la maladie
... Les nostalgiques des conflits mythiques pourraient même
considérer que la guerre économique actuelle est
appelée à remplacer le rôle des champs de
bataille dans le rôle de sélection pas naturelle
des plus forts.
Mais, qu'ils croient ou non en un
Dieu, (ou en des Dieux), pour qui se prendraient donc ces gens là
?