( édition
"10/18" 1962 )
page 140 ...
« A première vue, cette
idée, pessimiste
et déprimante, d'un déclin ou
sénescence de
l'Esprit par ankylose générale de la masse
humaine, n'est
pas sans quelque apparence de vérité. Les
premiers
effets, nettement asservissants, du travail dans les usines; -les
premières formes, brutales et concentrationnaires, prises
par
l'étatisation politique; - l'exemple redoutable (d'autant
plus
redoutable que mal compris (*) ) des Fourmis ou des Termites
:
tous ces symptômes impressionnants justifient,
jusqu'à un
certain point, le geste instinctif d'appréhension et de
recul
qui, en présence de la totalisation inexorablement montante
de
la Noosphère, rejette
désespérément, sous
nos yeux, tant d'êtres humains vers des formes
d'individualisme
et de nationalisme désormais périmées.
»
page 142 ...
« En fait, dans le courant de totalisation qui semble, en ce
moment, vouloir nous arracher à nous-mêmes et nous
décentrer, c'est tout simplement (si l'on y prend garde)
l'éternel jeu qui recommence - toujours le même,
bien que
sur un plan supérieur - d'une "corpusculisation" vitalisante
qui, après avoir paru culminer dans la
réalisation du
grain de conscience réfléchie, se met en devoir
maintenant de grouper, de synthétiser, ces grains de
pensée entre eux. Après l'Homme,
l'Humanité ...
Mouvement ébauché, nous le savons, depuis les
Préhominiens; mouvement poursuivi sous une forme subtilement
et
secrètement enveloppante, tout au long de la croissance de l'
Homo sapiens;
mais mouvement qui entre aujourd'hui seulement, et pour une raison bien
définissable, dans sa phase critique d'encerclement.
»
page 143 - 144 - 145 ...
« En vérité, si jadis la
conscience humaine a
pu être bouleversée par la simple
découverte d'un
nouveau continent, que dire de la révolution en train de
s'opérer dans nos esprits par suite de l'apparition
(heureusement graduelle, et comme ménagée) de
l'extraordinaire domaine où, sous l'action
irrésistible
d'un Monde même qui se referme, nous nous trouvons contraints
d'entrer et d'avancer. - Comme un médecin penché
sur son
patient, nous nous demandons souvent pourquoi ce mélange
encore
inconnu d'anxiété et d'espérances qui,
partout
autour de nous, est en train d'agiter les individus et les peuples. La
cause ultime du malaise ne serait-elle pas à chercher,
précisément, dans le changement de courbure qui,
d'un
Univers où la divergence (et donc l'espacement) des lignes
semblait encore tenir la première place, nous fait
soudainement
passer dans un autre type d'Univers, rapidement confluant sur
lui-même avec le Temps (*). Transformation radicale de
structure
et de climat, affectant et remaniant d'un seul coup la
totalité
de notre vision et de notre action. Depuis le XVIe siècle,
l'Homme avait successivement compris que le Cosmos où il se
trouve placé était en mouvement; - et que ce
mouvement
consistait surtout en un arrangement orienté vers la
Plus-Vie.
Maintenant seulement, par un troisième pas (le plus
périlleux de tous), il commence à s'apercevoir
que la
Cosmogénèse, ainsi définie, non
seulement e, mais
tend à se boucler, bien plus vite qu'on eût
pensé,
au-dessus de sa tête.
Et, en ce moment décisif où, pour la
première fois, il prend (lui, l'Homme) scientifiquement
conscience de la forme générale de son avenir
terrestre,
ce dont il a le plus immédiatement besoin,
peut-être,
c'est de s'assurer, pour de fortes raisons expérimentales,
que
l'espèce de dôme (ou de cône)
temporo-spatial
où son destin l'engage n'est pas une impasse où
le flot
de la Vie terrestre va s'écraser et s'étouffer
sur
lui-même; -mais que ce fuseau cosmique correspond, au
contraire
(*), au rassemblement sur soi d'une puissance destinée
à
trouver, dans l'ardeur même dégagée par
sa
convergence, la force suffisante pour percer toutes les limites en
avant, - quelles qu'elles soient.
3.
EFFETS ET FIGURES
DE CONVERGENCES.
a)
Accroissement
de l'Energie libre et intensification de la Recherche.
En analysant ci-dessus (p. 133-139) la structure
en
chaîne du complexe "économico-scientifico-social"
dont
l'apparition caractérise une Socialisation parvenue
à son
point "équatorial" de renversement et de compression, nous
signalons que, de par son fonctionnement même, le
système
sollicitait nos libertés vers des états
organico-psychiques de plus en plus élevés. Sous
ce
rapport, la Noosphère en voie de resserrement polaire se
comporte comme un corps qui rayonne, - le rayonnement étant
formé par une Energie libre, dont il nous faut
étudier un
instant la nature et les métamorphoses.
Initialement, l'Energie libre ici
considérée n'est pas autre chose que
la quantité
d'activité humaine ( à la fois physique et
psychique)
rendue disponible par les deux progrès conjugués
de
l'entraide sociale et de la Mécanique.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire et de le redire en maintes
occasions, rien n'est plus injuste, ni plus vain, que de protester et
de lutter contre le chômage
grandissant auquel nous conduit inexorablement la Machine. Sans les
multiples automatismes qui se chargent de faire travailler "tout seuls"
les divers organes de notre corps, aucun de nous,
évidemment,
n'aurait les "loisirs" de créer, d'aimer, de penser, - les
soins
de notre "métabolisme" nous absorbant tout entiers.
Semblablement ( et toute part faite aux troubles
liés
à l'utilisation d'une main-d'oeuvre trop brusquement
relâchée), comment ne pas voir que
l'industrialisation
toujours plus complète de la Terre n'est rien autre chose
que la
forme humano-collective d'un processus universel de vitalisation qui,
dans ce cas comme dans tous les autres, ne tend, si nous savons nous y
orienter convenablement, qu'à intérioriser et
à
libérer ?
En présence des torrents de puissance
inutilisée déjà
dégagés par la
convergence (si peu avancée soit-elle cependant) de la masse
humaine, un réflexe trop commun (geste absurde et contre
nature
!) est de rechercher à refouler ce
déchaînement
inquiétant. - Mais la véritable manoeuvre
n'est-elle pas
plutôt de canaliser le flot suivant la pente où
l'entraîne visiblement son inclination naturelle : je veux
dire,
dans le sens de la Recherche ?
A un degré très
général, on
peut (et même on doit) dire que la Recherche - celle-ci
étant définie comme un effort tâtonnant
pour
découvrir sans cesse de meilleurs arrangements biologiques -
représente une des propriétés
fondamentales de la
matière vivante. Prise maintenant plus strictement
,
à son sens habituel de tâtonnement réfléchi,
la Recherche, encore, est nécessairement aussi vieille que
l'éveil de la Pensée sur la Terre. Et cependant,
considérée dans la plénitude
généralisée et consciente de ses
opérations, la Recherche (il est essentiel de s'en rendre
compte) correspond à un développement tout
à fait
récent et extrêmement significatif de
l'Hominisation.
»
[...]
« ... comparons, du point de vue qui nous
intéresse,
l'état du monde tel qu'il est en ce moment avec celui
où
il se trouvait encore, par exemple, entre la Renaissance et la
Révolution française. De ce rapprochement, deux
évidences émergent, bien faites pour dessiller
nos yeux.
La première, c'est la subite et énorme
importance
(à la fois qualitative et quantitative) prise en moins de
deux
cents ans par le scientifico-technique dans le champ des
activités humaines. Jusqu'aux approches du XIXe
siècle
comme chacun sait, le savant restait encore, dans l'ensemble,
l'être exceptionnel, le "curieux", que son "hobby" ou son
rêve isole : un type sporadiquement distribué, et
faiblement embrayé, sur la masse humaine. - Aujourd'hui, par
contre, c'est par centaines de mille (et bientôt par
millions)
que les chercheurs se comptent, - non plus dispersés
superficiellement et au hasard sur la surface du globe, mais
fonctionnellement liés en un vaste système
organique,
indispensable désormais à la vie de la
collectivité !
»
page 161
«
Le centre extrême de chacun de nous,
il ne se
trouve pas au terme d'une trajectoire solitaire et divergente; mais il
coïncide (sans se confondre) avec le point de confluence d'une
Multitude humaine tendue, réfléchie, et
unanimisée, librement sur elle-même. »
page 164
« Autement dit, l'Univers se concentre-t-il par en haut avec
autant de sécurité et d'infaillibilité
qu'il
"s'entropise" par le bas ?
Non, répondent les faits. Par nature et dans tous
les cas, synthèse
implique risques.
Vie est moins sûre que Mort. C'est donc une chose que la
Terre,
par sa pression, nous mette au moule de quelque ultra-hominisation (*)
, - et autre chose que cette ultra_hominisation aboutisse.
»
[...]
« Conditions
externes, d'abord. Et par là j'entends surtout
les multiples réserves (de temps, de matériel
nutritif et de matériel humain) indispensables pour
alimenter jusqu'au bot l'opération. Si, avant que
l'Humanité n'arrive à maturation, la
planète devenait inhabitable; si
prématurément le pain venait à y
manquer, ou les métaux nécessaires, - ou ce qui
serait bien plus grave encore, la quantité ou la
qualité de substance cérébrale requise
pour emmagasiner, transmettre et accroître la somme de
connaissances et
d'aspirations formant à chaque instant le germe
collectif de la Noosphère : - alors, évidemment,
ce serait le raté de la Vie sur Terre; ... »
[...]
page 165
« Et conditions
internes, ensuite, - c'est à dire
liées au fonctionnement de notre liberté - Savoir-faire, d'une part, assez
habile pour éviter les diverses formes de pièges
et d'impasses ( mécanisation
politico-sociale, blocage
administratif, sur-population,
contre-sélections
...) semés sur la route d'un vaste ensemble en voie de
totalisation. Et vouloir-faire, surtout, assez
ferme pour ne reculer devant aucun ennui, aucun
découragement, aucune peur en chemin. »
[...]
« »
notes :
voir
actualité :
anti-noosphère